La Petite Ceinture aujourd’hui
Les personnes qui suivent les informations routières au quotidien connaissent bien la Petite Ceinture bruxelloise. Ce qu’on sait moins par contre c’est que, s’il s’agit bien de l’une des artères les plus empruntées de la capitale, c’est aussi un terrain non-bâti de près de 50 hectares. En effet, jusqu’à présent, peu de réflexions ont été menées sur sa signification dans la structure et le fonctionnement de la ville. Il s’agit pourtant de la première étape indispensable à la conception d’une vision globale concernant la « zone-ceinture ».
Quand on envisage la Petite Ceinture comme un espace, on remarque rapidement que les boulevards sont beaucoup moins « limite », « forme circulaire » ou « rocade » qu’on ne le croît généralement. La politique manie ces trois notions de manière ambiguë : elle reconnaît implicitement l’hétérogénéité de la zone, tout en s’accrochant à la forme du Pentagone. S’écarter de ces concepts permet de formuler de nouvelles perspectives de développement pour les boulevards.
Une route… ou un espace ? | Pas une limite | Pas une forme circulaire | Pas une rocade
Une route… ou un espace ?
À l’heure actuelle, il n’existe aucune approche spatialisée des boulevards. Ni la Région bruxelloise ni les communes ne réfléchissent à la signification des boulevards en tant que structure urbaine (à l’échelle macro) et espace public (à l’échelle micro). Ce qui tient certainement au fait que les trois quarts du tracé correspondent à une limite communale. Pour la Ville comme pour chacune des communes limitrophes, la zone-ceinture est une périphérie, un no man’s land.
En l’absence d’une vision territoriale partagée, les boulevards sont condamnés à servir uniquement de lieu de circulation et de passage. Un fait qui transparaît clairement dans les plans : ceux-ci s’expriment à peine sur la Petite Ceinture mais insistent sur la préservation de la fluidité du trafic automobile au niveau des boulevards. [1] Le plan de circulation du Pentagone, qui va de pair avec l’extension de la zone piétonne du centre, l’affirme explicitement à chaque usager de la route : la Petite Ceinture est un collecteur de trafic circulaire.
Il est vrai qu’au cours des dernières années, des plans ont été établis et des projets mis en œuvre pour un certain nombre de tronçons tout le long de son tracé, notamment au niveau de la place Rogier, des boulevards longeant le canal et de la Porte de Ninove. D’autres sont en cours. La majeure partie des interventions est cependant inspirée par des facteurs externes à la forme et à la fonction des boulevards.
Aux changements importants apportés au centre-ville s’est récemment ajoutée la question de l’état préoccupant d’une série de tunnels. Un exercice de réflexion – spatiale ! – sur l’avenir de l’autoroute urbaine s’impose aujourd’hui plus que jamais.
Ceci n’est pas une limite
Le tracé de la Petite Ceinture est une forme particulièrement ancrée dans les esprits tant des habitants que des usagers de la ville. Le Pentagone est synonyme de centre-ville, la Petite Ceinture correspondant aux limites de ce centre. Une étude de la situation sur le terrain indique cependant qu’il s’agit principalement de constructions mentales et institutionnelles [2] , qui trouvent peu d’écho dans l’actuel fonctionnement socio-spatial de la ville.
En 1880, l’urbanisation s’étendait déjà au-delà des boulevards. [3] Depuis lors, les caractéristiques sociales et économiques des quartiers situés des deux côtés de la zone de la Petite Ceinture sont exceptionnellement proches. [4] Certains quartiers dépendent complètement de ceux « d’en face » pour ses équipements de base. [5] De ce point de vue, l’effet de séparation de l’autoroute urbaine est particulièrement problématique.
Par ailleurs, l’assimilation du Pentagone au centre-ville n’est pas si évidente qu’il y paraît. Depuis l’agrandissement du piétonnier, le collège communal concentre ses efforts sur l’« hypercentre », une notion qui surgit de plus en plus souvent dans les communiqués officiels. Les quartiers qui s’échelonnent entre cet hypercentre et la Petite Ceinture semblent se situer dans une zone d’entre-deux.
Ceci n’est pas une forme circulaire
L’idée que les boulevards forment un espace circulaire d’un seul tenant peut également être remise en question.
Pour commencer, les boulevards se sont greffés, dès leur aménagement au dix-neuvième siècle, sur l’ancienne dichotomie entre les quartiers populaires dans la vallée et les quartiers bourgeois plus en hauteur. Deux cents ans plus tard, rien n’a changé. Dans la ville haute, les boulevards fonctionnent comme un axe destiné à représenter la puissance et le prestige : à l’origine promenade longeant les palais, les imposantes maisons de maître et les bâtiments d’institutions scientifiques, aujourd’hui, axe majeur de circulation dans un paysage de tours de bureaux et de sièges d’entreprises. Dans la ville basse, au bord du canal, les boulevards traversent des quartiers populaires ; ceux-ci bourdonnaient d’une intense activité industrielle au XIXème siècle mais ne se sont jamais vraiment remis du départ des industries à une époque plus récente. Le fait qu’ici, le bâti bordant les boulevards se distingue à peine de son environnement en dit long sur la signification de cet axe dans cette partie de la ville.
L’urbanisation de l’ommeland a également entraîné la disparition du caractère circulaire initial des boulevards. Les architectes de l’expansion urbaine, notamment Victor Besme, les considéraient comme un instrument pour structurer les nouveaux quartiers. C’est au niveau du boulevard Léopold II que se trouve la négation ultime de la forme circulaire : un tronçon de la Petite Ceinture, les boulevards nord, se prolonge de manière rectiligne en direction de la basilique de Koekelberg. [6]
Ceci n’est pas une rocade
Que l’idée d’une forme circulaire ne correspond pas avec la réalité vaut d’un point de vue territorial mais aussi en matière de mobilité. Après la guerre, lorsque les infrastructures destinées à la circulation routière et aux transports en commun ont été aménagées, la priorité était accordée aux boulevards nord et est. Des tunnels routiers et ceux de métro ont été construits sur les boulevards vers et à travers le haut de la ville. Sur les boulevards ouest, les voitures roulent en surface ; ici, pas de métro, seul le tram circule. Ces données permettent de conclure qu’en fait, la politique a toujours reconnu les différences au niveau des fonctions de circulation des boulevards.
En conséquence de ces aménagements extrêmement divers, force est de constater que dans la pratique, la Petite Ceinture ne remplit pas sa fonction de rocade. Le principal échangeur routier entre la Petite Ceinture et les structures radiales se situe aux carrefours Arts-Loi et Belliard, en plein cœur de la zone de bureaux de la ville haute et du quartier européen. Partant, c’est sur les boulevards nord et est que s’observent les densités de circulation les plus élevées. Sur le tronçon ouest, à partir de Louise, le nombre de véhicules se réduit de moitié.
Impossible de trouver meilleur exemple que le nœud Sainctelette-Yser pour illustrer la faible signification de la forme circulaire dans la réalité, du point de vue tant du territoire que de la circulation. Ce point constitue avant tout un carrefour entre les flux orientés est-ouest et nord-sud. La circulation sur la relation entre le boulevard Léopold II et la Porte de Flandre est, elle aussi, considérable. Le nombre de véhicules qui suit le tracé de la Petite Ceinture est cependant insignifiant.